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JOËLLE ZASK
Quand la forêt brûle

Penser la nouvelle catastrophe écologique

"Le complexe industriel du feu  vaut aujourd’hui des milliards de dollars et se développe plus sous l’effet d’intérêts économiques qu’en raison de considérations écologiques ou de sécurité."

"Exploitation industrielle de la forêt, plantations abusives, monocultures d’arbres à la fois très inflammables et grands consommateurs d’eau : dans ce tableau, les feux de forêts et la suppression de la biodiversité vont de pair. "

"Selon un rapport établi en 2010, les dangers spécifiquement météorologiques des feux de forêts croissent si rapidement qu’il est devenu malhonnête de mettre en doute la relation entre mégafeux et réchauffement. Le critère utilisé est l’« indice forêt météo » (IFM), qui est calculé à partir de probabilités tenant compte de données telles que la température, l’humidité de l’air, la vitesse du vent et les précipitations. Or, d’après les simulations auxquelles ont procédé les auteurs, « la valeur moyenne de l’IFM a augmenté de 18 % entre la période 1961-1980 et la période 1989-2008. A l’horizon 2040, l’IFM moyen devrait progresser de 30 % par rapport à la période 1961-2000. Certaines simulations montrent que cette augmentation pourrait atteindre jusqu’à 75 % d’ici à 2060. "

"Au fur et à mesure que les sociétés, faute de transmission et de savoir-faire, de liberté et d’autogouvernement, d’ancrage local ou de volonté, cessent d’être les partenaires actifs de la « nature », les feux gagnent en intensité. Faute de troupeaux qui broutent la végétation basse, faute de champs cultivés, de vergers, de parcelles défrichées, de débroussaillage, de brûlis, l’entretien, devenu nécessaire en raison de transformations successives et d’interactions millénaires, n’est plus assuré."


JEAN ZIEGLER
Lesbos, la honte de l'Europe

"Dans l’idéologie « humanitaire » des têtes de mule de Bruxelles, Frontex tient un rôle central. Rescue and Secure… Quelle hypocrisie ! Le principal agent de la chasse aux requérants d’asile n’a rien – mais strictement rien – d’un « sauveteur ».». Les bateaux de Frontex sont des bâtiments militaires équipés militairement. À leur bord ne se trouvent ni médecins, ni infirmières, ni nageurs de secours, mais des policiers et des gendarmes recrutés dans les différents États membres de l’UE."

 


"À la demande de l’UE, les industriels de l’armement ont développé une technologie ultraperformante pour assurer l’efficacité de la chasse à l’homme le long des frontières de la forteresse Europe. Eurosur (European Border Surveillance System, Système européen pour la surveillance des frontières), une autre instance de l’UE, recourt notamment à des satellites géostationnaires, positionnés au-dessus de la mer Égée, du détroit de Gibraltar, du Sahara et de la Méditerranée centrale. Par ailleurs, des drones ultraperformants surveillent jour et nuit les mouvements des réfugiés et des migrants sur mer comme sur terre. Personne ne leur échappe. De même, les radars au sol permettent une observation permanente des colonnes de persécutés évoluant sur la terre ferme. Des systèmes de sensors secrets sont également installés le long des côtes et des frontières terrestres. L’un des cauchemars de Frontex est suscité par ces poids lourds qui transportent enfants, femmes et hommes clandestins sur les routes du nord de la Grèce ou de la Bosnie-Herzégovine. Une nouvelle technologie permet de les détecter : il s’agit de scanners aux rayons X et d’autres appareils hautement sophistiqués permettant de capter et de décompter les battements de cœur et la quantité d’air respiré. Ces appareils sont extrêmement onéreux : un scanner de camion, par exemple, coûte environ 1,5 million d’euros. Pour les bureaucrates de l’UE, il ne fait pas de doute que le contribuable européen est heureux d’assumer les montants astronomiques qu’il paie pour l’acquisition de tous ces gadgets… puisque ceux-ci le protègent des réfugiés. L’inventivité des fabricants d’appareils de surveillance financés par l’UE ne connaît pas de limites. Le long du mur qui sépare le nord-ouest de la Syrie de la Turquie, les Turcs – encouragés par Bruxelles – ont ainsi installé des appareils à déclenchement automatique de tirs de mitrailleuses. L’être humain qui approche à 300 mètres du mur entend d’abord en trois langues, et à plusieurs reprises, un avertissement lui ordonnant de faire demi-tour. S’il continue d’avancer, il est tué par la mitrailleuse dont le tir se déclenche automatiquement. Ces mitrailleuses à tir autodéclenché se révèlent particulièrement efficaces contre les familles de réfugiés. Elles sont l’un « des produits phares défendus et vendus à Bruxelles par Dirk Niebel et ses semblables.
L’événement commercial de loin le plus important pour la promotion de la technologie de surveillance et de répression des réfugiés est la foire annuelle de Milipol, à Paris. Les ministres s’y pressent. Pour l’heure, ce sont encore les industriels israéliens et américains qui dominent ce marché. Jakob cite les calculs qu’a effectués la société de conseil Frost and Sullivan : les dépenses totales investies dans le développement de ce que les eurocrates appellent la « technologie des frontières » s’élèvent aujourd’hui à 15 milliards d’euros. Elles atteindront 29 milliards d’euros en 2022. Tout cela au profit des marchands de canons – et aux frais du contribuable européen."

"Alors que j’exerçais comme rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, j’ai parcouru la Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro, les slums des Smokey Mountains de Manille et les puantes shantytowns de Dacca, au Bangladesh. Mais jamais je n’ai été confronté à des habitations aussi sordides, à des familles aussi désespérées que dans les Oliveraies de Moria. "

(Et le Covid-19 a bon dos: EHESS: crime contre l'humanité )



 

JEAN ZIEGLER
Destruction massive
Géopolitique de la faim

"L'aveuglement, tout au long de la guerre, du haut-commandement allié face à cette stratégie nazie de contrôle, puis de destruction par la faim de certaines populations occupées me sidère.
A Buchenwald, ce qui m'a frappé, c'est cette ligne unique de chemin de fer, ces rails couverts d'herbe et de fleurs des champs qui, d'une façon presque bucolique, serpentent à travers l'attachant et doux paysage de la Thuringe.
Aucun bombardier américain, anglais ou français ne l'a jamais détruite.
Les trains de déportés - très normalement - continuaient à arriver au pied de la colline.
Certains de mes amis ont visité Auschwitz : ils sont revenus avec la même révolte au cœur, le même sentiment d'incompréhension : l'unique ligne de chemin de fer approvisionnant quotidiennement - et jusqu'au début de l'année 1945 - cette usine de mort est retée parfaitement intacte."



 

"Qui sont les puissances de l'agroalimentaire, qui contrôlent aujourd'hui la nourriture des hommes ?
Quelques sociétés transcontinentales privées - nous l'avons vu - dominent les marchés en question. Elles décident chaque jour qui va mourir et qui va vivre. Elles contrôlent la production et le commerce des intrants que doivent acheter les paysans et les éleveurs (semences, produits phytosanitaires, pesticides, fongicides, fertilisants, engrais minéraux, etc.). Leurs traders sont les principaux opérateurs dans les commodity stock exchanges (les bourses des matières premières agricoles) du monde. Ce sont elles qui fixent les prix des aliments.
L'eau est désormais en grande partie sous le contrôle de ces sociétés.
Depuis peu, elles ont acquis des dizaines de millions d'hectares de terres arables dans l'hémisphère Sud.
Elles se réclament du libre marché qui serait gouverné par des « lois naturelles ». Or, il n'y a rien de «naturel» dans les forces du marché. Ce sont les idéologues des sociétés transcontinentales (des Hedge-Funds, des grandes banques internationales, etc.) qui, pour légitimer leurs pratiques meurtrières et apaiser la conscience des opérateurs, donnent ces « lois du marché » comme naturelles, s'y réfèrent en permanence comme à des « lois de la nature »."

"Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim; des centaines de millions souffrent avec leurs parents de sous-alimentation permanente. Or l'agriculture mondiale pourrait nourrir près du double de l'humanité. Jean Ziegler propose un état des lieux documenté, vibrant de la connaissance acquise sur le terrain, et identifie les ennemis du droit à l'alimentation. Nulle fatalité à cette destruction massive! Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné."

«Notre solidarité totale avec les centaines de millions d'êtres humains subissant la destruction par la faim est requise. »


JEAN ZIEGLER
La haine de l'Occident

Depuis des siècles, l'Occident tente de confisquer à son seul profit le mot « humanité ». Dans son magistral ouvrage L'Universalisme européen. De la colonisation au droit d'ingérence, Immanuel Wallerstein reconstitue les étapes historiques de la constitution de cette « humanité ethnocentrique ».
L'Occident est un potentat qui s'ignore, dit-il. Son passe-temps favori consiste à donner des leçons de morale au monde entier. Sa mémoire est de pierre. Elle se confond avec ses intérêts économiques.
Son arrogance l'aveugle. Depuis longtemps, l'Occident ne se rend plus compte du rejet qu'il suscite.
C'est qu'en matière de désarmement, de droits de l'homme, de non-prolifération nucléaire, de justice sociale planétaire, il pratique en permanence le double langage.
Et le Sud répond par une méfiance viscérale. Il regarde comme un schizophrène cet Occident dont la pratique dément constamment les valeurs qu'il proclame.
La stratégie du double langage paralyse la négociation internationale. Elle rend impossible la défense collective du Sud et de l'Ouest contre les dangers mortels qui, pourtant, les menacent tous les deux.



"Au début de ce millénaire, sur une planète qui regorge de richesses, un enfant de moins de dix ans meurt toutes les cinq secondes. De maladie ou de faim.
La guerre économique fait rage.
L'humiliation, l'exclusion, l'angoisse du lendemain sont le lot de centaines de millions d'êtres humains. Surtout dans l'hémisphère Sud. Pour eux, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies ne sont que des paroles creuses.
Comment responsabiliser l'Occident et le contraindre à respecter ses propres valeurs ? Comment désarmer la haine du Sud ? Dans quelles conditions concrètes le dialogue peut-il être amorcé ?
Comment construire une société planétaire réconciliée, juste, respectueuse des identités, des mémoires et du droit à la vie de chacun ?
Mon livre voudrait mobiliser des forces pour contribuer à la résolution de ces questions et tenter de mettre un terme à la tragédie."

"Dans l'hémisphère Sud, les épidémies, la faim, l'eau polluée et les guerres civiles dues à la misère détruisent chaque année presque autant d'êtres humains que la Seconde Guerre mondiale en six ans.
Comment rompre avec ce système destructeur ? Comment transformer la haine qu'il alimente en une force historique de revendication de justice et de libération victorieuse ?
D'abord par la reconstitution mémorielle, par la reconquête de l'identité, par la prise de conscience des droits humains, par la construction nationale dans les pays du Sud..
Dans ce livre, j'ai longuement traité de la nécessité, pour les peuples, de s'attacher à la récupération de leur identité et à la renaissance de leur mémoire historique."



SLAVOJ ZIZEK

SLAVOJ ZIZEK
dans la tempête virale

"la forme de solidarité des temps présents consiste précisément – et paradoxalement – à ne pas serrer la main d’autrui et à s’isoler des autres lorsque nécessaire."

"Ce que je crains, bien plus qu’une barbarie manifeste, c’est une barbarie à visage humain – d’impitoyables mesures survivalistes mises en vigueur avec regret et même avec sympathie, et légitimées par des experts."

"Cette focalisation sur la responsabilité individuelle, indispensable à certains égards, fonctionne comme une idéologie dès lors qu’elle sert à obscurcir les enjeux essentiels : déterminer comment changer notre économie entière et notre système social. La lutte contre le coronavirus ne peut être menée que de conserve avec la lutte contre la mystification idéologique, et en tant que partie prenante d’un combat écologique global. "

Illustration de couverture: Francisco Goya, Les Ensachés . 1864



SLAVOJ ZIZEK
La nouvelle lutte des classes
Les vraies causes des réfugiés et du terrorisme

"Giorgio Agamben a dit dans un entretien que «la pensée est le courage du désespoir ». Cette vision des choses me semble d'une pertinence particulière pour le moment historique que nous vivons, où même les diagnostics les plus pessimistes finissent, en général et de façon quelque peu édifiante, par jouer le rôle de la légendaire lumière au bout du tunnel. Le vrai courage n'est pas d'imaginer une alternative, mais de reconnaître qu'il n'existe pas d'alternative clairement discernable et d'en tirer les leçons. Rêver d'une alternative, c'est faire preuve de lâcheté intellectuelle. Un tel rêve fonctionne comme un fétiche qui nous empêche de penser à mettre fin à l'impasse dans laquelle nous nous retrouvons pris. Bref, le vrai courage est d'admettre que la lumière discernée au bout du tunnel est très probablement le feu avant d'un train fonçant sur nous."


SLAVOJ ZIZEK
Moins que rien

Hegel et l'ombre du matérialisme dialectique

"J'ai écrit quelque part qu'il y avait cinq philosophes importants, en Europe, dans la deuxième moitié du xxe siècle et jusqu'à aujourd'hui. Laissons de côté les quatre premiers. Le cinquième était mon ami Slavoj Zizek. Il y avait un sixième, un philosophe en somme surnuméraire : moi-même." Alain Badiou (préface)

" La question essentielle est ainsi de savoir comment la pensée est possible dans un univers de matière, comment elle peut naître de la matière. Comme la pensée, le sujet (le Soi) aussi est immatériel : son Un-icité, son identité à soi, n'est pas réductible à son substrat matériel. Je ne suis précisément pas mon corps : le Soi ne peut apparaître que sur fond de la mort de son être substantiel, de ce qu'il est « objectivement ». Donc, encore une fois, comment pouvons-nous expliquer l'apparition de la subjectivité à partir de l'ontologie « incomplète », comment pouvons-nous penser conjointement ces deux dimensions (l'abîme/le vide de la subjectivité et l'incomplétude de la réalité) ?

 


SLAVOJ ZIZEK
De la croyance

En 1991, à la suite du coup d'État monté par la nomenklatura elle-même pour faire tomber Ceausescu, l'appareil de la police secrète roumaine, resté bien sûr pleinement opérant, poursuivit son activité comme à l'ordinaire. Toutefois, la tentative de la police secrète de présenter une image d'elle-même plus sympathique, au diapason des temps "démocratiques" nouveaux, occasionna quelques épisodes étranges. Un ami américain qui à cette époque vivait à Bucarest dans le cadre d'une bourse d'études Fulbright, appela chez lui une semaine après son arrivée pour dire à sa petite amie qu'il vivait maintenant dans un pays pauvre mais amical, où les gens étaient sympathiques et avides d'apprendre. Après qu'il eut reposé le combiné, le téléphone sonna immédiatement : il décrocha, et une voix lui annonça dans un anglais quelque peu maladroit qu'il avait au bout du fil l'officier de la police secrète dont le travail allait consister à écouter ses conversations téléphoniques, qui voulait le remercier pour les gentilles choses qu'il venait de dire sur la Roumanie - il lui souhaita un séjour agréable et raccrocha.
Le présent ouvrage est dédié à cet agent anonyme de la police secrète roumaine.


SLAVOJ ZIZEK
Vivre la fin des temps

Aucun doute n'est plus permis: le système capitaliste global entre à toute vitesse dans sa phase terminale. Crise écologique mondiale, révolution biogénétique, marchandisation effrénée et croissance explosive des divisions sociales sont, selon Zizek, les quatre cavaliers de l'apocalypse à venir. Mais la mort du capitalisme doit-elle entraîner, comme le croient beaucoup, la fin du monde ? Non. Il y a un espoir. Nos réponses collectives à la catastrophe correspondent précisément aux étapes du deuil décrites par la psychologue Elisabeth Kubler-Ross : déni, explosion de colère, tentatives de marchandage, puis dépression et, enfin, acceptation. C'est après avoir atteint le point zéro, après avoir traversé le traumatisme absolu que l'individu, devenu sujet, pourra discerner dans la crise l'occasion d'un nouveau commencement. Mais la vérité traumatique doit faire l'objet d'une acceptation et se vivre pleinement pour qu'ait lieu ce tournant émancipateur.

Notre salut viendra d'une réaction à l'idéologie multiculturaliste hégémonique qui entrave notre prise de conscience politique, mais aussi par la lutte. La lutte contre l'autorité de ceux qui sont au pouvoir, contre l'ordre global et la mystification qui l'étaye, contre nos propres mécanismes d'évitement et d'aveuglement qui nous conduisent à inventer des remèdes ne faisant qu'aggraver la crise.

 


SLAVOJ ZIZEK
Quatre variations philosophiques
sur le thème cartésien

Ainsi, lorsque nous sommes bombardés d'affirmations qui nous serinent qu'à notre époque post-idéologique, cynique, plus personne ne croit aux idéaux proclamés, ou lorsque nous rencontrons quelqu'un qui se prétend guéri de toutes les croyances et accepte la réalité sociale telle qu'elle est, nous devrions toujours contrer de telles affirmations en posant cette question : "Soit, mais où est le fétiche qui vous permet (de faire semblant) d'accepter la réalité "telle qu'elle est" ? " . Le « bouddhisme occidental » peut jouer le rôle de fétiche : il vous permet de participer pleinement au rythme effréné du jeu capitaliste, tout en vous donnant à croire que vous n'en êtes pas vraiment prisonniers, que vous avez parfaitement conscience de l'inanité de ce spectacle — ce qui compte réellement pour vous, c'est la paix du Soi intérieur qui, vous le savez, peut toujours vous servir de refuge...


SLAVOJ ZIZEK
Après la tragédie, la farce!
ou comment l'histoire se répète

Le capitalisme à l'asiatique ... en Europe
Peter Sloterdijk (franchement pas de notre côté, mais pas complètement idiot non plus) a déclaré que s'il existe une personne à laquelle on érigera des monuments dans un siècle, c'est sans conteste Lee Kuan Yew, le dirigeant singapourien qui a inventé et réalisé le prétendu «capitalisme à l'asiatique ». Le virus de cette forme autoritaire de capitalisme se propage lentement mais sûrement à la surface du globe.


SLAVOJ ZIZEK
Organes sans corps
Deleuze et conséquences

Aimer véritablement un philosophe, c'est retrouver des traces de ses concepts dans la vie de tous les jours. Récemment, alors que je regardais une fois encore Ivan le Terrible, de Sergueï Eisenstein, j'ai remarqué, au début de la première partie, dans la scène du couronnement, un détail merveilleux: lorsque les deux meilleurs amis (pour le moment) d'Ivan prennent des pièces d'or dans d'immenses plateaux pour les répandre sur la tête nouvellement couronnée, cette pluie d'or, par son caractère excessif et magique, ne peut qu'étonner le spectateur: même après que les plateaux sont vides, l'or continue de pleuvoir à jet continu sur la tête d'Ivan, sans aucun « réalisme». Cet excès n'est-il pas tout à fait « deleuzien » ? Ne s'agit-il pas là du pur excès du flot du devenir sur sa cause corporelle, du virtuel sur le réel ?


SLAVOJ ZIZEK
La parallaxe

"En résumé, le passage de la réalité substantielle à l'événement (dans ses différentes formes) n'est-il pas l'une des caractéristiques essentielles des sciences modernes? Selon la physique quantique,
le fondement de la réalité n'est pas constitué de certains éléments primordiaux, mais d'une sorte de « vibration» de cordes, d'entités que l'on peut seulement décrire comme des processus désubstantialisés. Le cognitivisme et la théorie des systèmes s'intéressent au mystère des «propriétés émergentes », qui désignent également les auto-organisations purement processuelles, etc. Rien d'étonnant, donc, à ce que les trois philosophes contemporains - Heidegger, Deleuze, Badiou - déploient trois pensées de l'événement : chez Heidegger, l'événement est la révélation épocale d'une configuration de l'être; chez Deleuze, l'événement est le pur devenir désubstantialisé du sens; chez Badiou, c'est la référence à l'événement qui fonde un processus de vérité. Pour les trois, l'événement est irréductible à l'ordre de l'être (au sens de la réalité positive), à l'ensemble de ses (pré)conditions matérielles.
[...] À la différence de Heidegger, Deleuze et Badiou accomplissent le même geste philosophique paradoxal consistant à défendre, en tant que philosophes matérialistes, l'autonomie de l'ordre «immatériel» de l'événement. En tant que matérialiste, et pour l'être tout à fait, Badiou s'intéresse au topos idéaliste par excellence* : comment un animal humain peut-il renoncer à son animalité et placer sa vie au service d'une vérité transcendante? Comment la« transsubstantiation» d'un individu qui consacre sa vie au plaisir en sujet dévoué à une cause se produit-elle? En d'autres termes, comment un acte libre est-il possible? Comment peut-on échapper au réseau des connexions causales de la réalité positive et concevoir un acte qui commence par et en lui-même?
[...]un évènement ne courbe pas l'espace de l'être en s'inscrivant en lui - au contraire, un évènement n'est rien d'autre que cette courbure de l'espace de l'être. Il n'y a rien d'autre que l'interstice, la non-coïncidence-avec-lui-même de l'être, c'est-à-dire la non-fermeture ontologique de l'ordre de l'être."

 


SLAVOJ ZIZEK
Plaidoyer en faveur de l'intolérance

Le multiculturalisme, naturellement, est la forme idéale de l'idéologie de ce capitalisme planétaire, l'attitude qui, d'une sorte de position globale vide, traite chaque culture locale à la manière du colon traitant une population colonisée - comme des « indigènes» dont les mœurs doivent être précautionneusement étudiées et « respectées ». C'est-à-dire que la relation entre le colonialisme impérialiste traditionnel et l'autocolonisation capitaliste planétaire est exactement la même que celle existant de nos jours entre l'impérialisme culturel occidental et le multiculturalisme : de la même façon que le capitalisme global induit le paradoxe d'une colonisation sans métropole, sans État-nation colonisateur, le multiculturalisme induit une distance eurocentriste paternaliste et/ou un respect pour des cultures locales arrachées à la culture particulière qui était la leur. En d'autres termes, le multiculturalisme est une forme de racisme désavouée, invertie, auto référentielle, un «racisme avec une distance» - il respecte l'identité de l'Autre, le concevant comme une communauté «authentique» fermée sur elle-même par rapport à laquelle l'adepte du multiculturalisme maintient, lui, une distance que rend possible sa position universelle privilégiée. Le multiculturalisme est un racisme qui vide la position qui est la sienne de toute teneur positive (le défenseur du multiculturalisme n'est pas un raciste franc du collier, il n'oppose pas à l'Autre les valeurs particulières de sa propre culture), mais conserve néanmoins cette position comme le point vide d'universalité privilégié à partir duquel il est possible d' apprécier (et de déprécier) de manière appropriée d'autres cultures particulières - le respect du multiculturalisme pour la spécificité de l'Autre est la forme même qu'adopte l'affirmation de sa propre supériorité.

 


SLAVOJ ZIZEK
La marionnette et le nain

[Un copié-collé pour une bonne moitié du "Bienvenue dans le désert du réel"
...Ai demandé des explications aux éditeurs ...à suivre...]


SLAVOJ ZIZEK
Bienvenue dans le désert du réel

"Et si, en nous raccrochant à la survie, aussi agréable puisse-t-elle être, c'était la vie elle-même, en somme, que nous perdions? Et si le terroriste suicidaire palestinien sur le point de se faire exploser et d'emporter autrui avec lui était formellement «plus vivant» que le soldat américain engagé sur le front numérique d'une guerre menée contre un ennemi situé à des centaines de kilomètres, « plus vivant» qu'un jeune cadre new-yorkais, dynamique et ambitieux, qui fait son jogging le long de l'Hudson River pour garder la forme? Et si un (e) hystérique, pour le dire avec les mots de la psychanalyse, de par son questionnement permanent sur l'existence, représentait la vraie vie alors que le choix de l'obsessionnel (le) était le modèle même de la "vie dans la mort"?"

. ..."Ceux qui défendent le caractère sacré de la vie, parasité et menacé par les puissances transcendantes, finissent dans un monde supervisé où certes nous vivons en toute sécurité, sans souffrance, mais qui est un monde assommant dans lequel, pour l'amour de son but même - une longue vie hédoniste -, tous les plaisirs réels sont interdits ou sévèrement assujettis au contrôle (cigarettes, stupéfiants, nourriture ... ) ."


SLAVOJ ZIZEK
Que veut l'Europe?

"Seule l'Europe est susceptible de défendre la notion d'universalisme, bien plus menacée que les particularismes locaux par la globalisation. La défense de l'héritage européen impose toutefois une autocritique complète. Ce que nous jugeons dangereux dans la politique et la civilisation américaines, c'est l'une des conséquences possibles du projet européen. Dans les années trente, Max Horkheimer écrivait que ceux qui ne voulaient pas s'exprimer (de façon critique) sur le libéralisme devaient également rester silencieux à propos du fascisme. Il faudrait dire à ceux qui attaquent le nouvel impérialisme américain : ceux qui ne veulent pas s'engager dans la critique de l'Europe devraient également se taire à propos des USA.
Si la défense de l'héritage européen se limite à la défense de la tradition démocratique européenne, la bataille est perdue d'avance. L'Europe doit réinventer, dans l'acte même de défense, ce qu'elle a à défendre. Il nous faut remettre en question, impitoyablement, les fondations mêmes de l'héritage européen, jusqu'à ces vaches sacrées (y compris ces vaches sacrées) que sont la démocratie et les droits de l'homme. "